En
2014, François Roux nous avait éblouis avec son roman Le
bonheur national brut. Un titre
intelligent qui ne s'oublie pas, un récit générationnel
passionnant. L'auteur revient en cette rentrée littéraire de
janvier 2017 avec une nouvelle fresque romanesque contemporaine, Tout
ce dont on rêvait, posant
un regard lucide sur notre société. On y rencontre Justine,
vingt-cinq ans dans les années 90, dégoûtée par les hommes,
enchaînant les relations toxiques. Un soir, elle tombe sous le
charme d'Alex, aussi beau que désinvolte. Vingt ans plus tard, on la
retrouve en couple, mais c'est avec le frère aîné d'Alex, Nicolas,
que Justine s'est mariée et qu'elle a eu deux enfants, Adèle et
Hector.
François Roux plonge le
lecteur dans l'univers de cette famille parisienne, chacun de ses
personnages étant doté d'une psychologie subtile, nuancée. Les
générations se côtoient mais ne se ressemblent pas. Justine,
infirmière en psychiatrie, incarne une génération de
quadragénaires désabusés :
« Sa
vie entière s'était construite sur de l'insatisfaction, sur
l'angoisse de ne jamais être à la hauteur, de faire les mauvais
choix et puis aussi, par-dessus tout, sur la malédiction de
l'ennui. »
Déçue
par la politique, elle tente de mettre en pratique ses idéaux à
travers sa vie professionnelle et le lecteur la suit dans les méandres de sa quête identitaire. Son père, ancien soixante-huitard
acariâtre, hargneux et aigri, s'est tourné vers le Front National.
Tandis qu'Adèle, dix-sept ans, semble appartenir à une jeunesse
plus sûre d'elle, évoluant avec aisance dans un monde numérisé et
délaissant la politique partisane pour s'engager dans un
militantisme associatif. Le cœur du roman est le licenciement de
Nicolas, qui le plonge lentement dans un chaos intérieur et se
répercute sur son couple. Par cette figure
terriblement actuelle et banalisée du chômeur, François Roux
dévoile les processus psychologiques complexes à l’œuvre dans
cette expérience sociale. Le portrait de Nicolas, sans pathos,
montre les incohérences et l'hypocrisie d'un système ayant érigé
une « idéologie du travail » tout en soumettant cette
valeur suprême à la productivité et à la rentabilité.
Attentats
de Charlie Hebdo, affaire Swissleaks, critique souterraine de la
société de consommation et de l'individualisme galopant, questionnements sur le couple, l'amour, la famille, si
Tout ce dont on rêvait n'est pas un roman sociologique à
proprement dit, il parvient avec brio à dépeindre la complexité
d'enjeux majeurs de notre temps, qu'ils soient économiques,
sociologiques, psychologiques ou idéologiques et invite à nouveau à
s'interroger sur la notion de bonheur :
« Elle
savait que sa vie était en grande partie guidée par la frivolité
de ses désirs, elle avait une conscience à trois cent soixante
degrés du fait que la majorité de ses besoins n'étaient pas du
tout le fruit de sa volonté mais répondaient à des stimuli
artificiels que des apprentis sorciers du commerce, du marketing, de
la com – toute une armée de gens plutôt malveillants au fond –
instillaient régulièrement dans son environnement naturel pour la
charmer et la faire tomber dans leurs filets. »
Malgré un titre décevant, dont la première version, "Tomber comme des mouches", aurait été bien plus pertinente et évocatrice, François
Roux excelle à « mêler destins individuels et grande
histoire 1»
et nous offre un roman d'une force prodigieuse, un roman lumineux
qu'on a du mal à refermer, des personnages que l'on quittera à
regret et dont on se souviendra souvent, une fin délicieuse,
parfaite, impertinente à souhait, allant à contre-courant de la
pensée, de l'idéologie communes et des mœurs contemporaines, un
roman donnant une furieuse envie de résister.
Note :