Résumé
(quatrième de couverture) :
« Futur
proche.
Deux
scientifiques mettent au point un procédé révolutionnaire
permettant de retourner dans le passé. Une seule et unique fois par
période visitée, pour une seule et unique personne, et sans aucune
possibilité pour l'observateur d'interférer avec l'objet de son
observation. Une révolution qui promet la vérité sur les périodes
les plus obscures de l'histoire humaine. Plus de mensonges.
Plus de
secrets d'État.
Créée
en 1932 sous mandat impérial japonais, dirigée par le général
Shiro Ishii, l'Unité 731 se livra à l'expérimentation humaine à
grande échelle dans la province chinoise du Mandchoukouo, entre 1936
et 1945, provoquant la mort de près d'un demi-million de personnes…
L'Unité 731, à peine reconnue par le gouvernement japonais en 2002,
passée sous silence par les forces d'occupation américaines pendant
des années, est la première cible de cette invention
révolutionnaire. La vérité à tout prix. Quitte à mettre fin à
l'Histoire. »
Né
en 1976 à Lanzhou, en Chine, Ken Liu émigre aux USA à 11 ans. Il
est auteur d'ouvrages de science fiction et de fantasy, d'« œuvres
de l'imaginaire » telle La ménagerie de papier,
parue en 2015, qui a obtenu de nombreux prix littéraires (Prix Hugo,
Nebula, World Fantasy, Grand prix de l’Imaginaire 2016).
L'homme qui mit fin à l'histoire,
court roman ou grande nouvelle parue en août 2016 chez les éditions
Le Bélial, interpelle par la force d'une écriture fluide sans
aucune fausse note, des mots choisis avec finesse pour aborder un
thème douloureux et peu connu par les occidentaux, celui des
expérimentations humaines perpétrées par l'occupant japonais en
Chine, à Harbin, au sein de l'Unité 731.
Dédié
à Iris Chang, auteure de l'essai Le viol de Nankin,
voici un récit d'anticipation philosophique, habilement mené,
convainquant, qui chamboule et travaille le lecteur longtemps après
la lecture ! Le thème du voyage vers le passé -banal en
science-fiction- est ici original et convaincant. Inventé par la
scientifique Akemi Kirino et l'historien Evan Wei, le procédé est
précisément décrit par l'auteur en s'appuyant sur des lois de la
physique. Les notions de mémoire, de transmission, de vérité, de
réalité et de fiction sont interrogées, bousculées, dans ce récit
où les états, outre leurs dimensions spatiales, se disputent à
présent leurs dimensions temporelles. A qui en effet appartiendrait
le passé d'un état occupé ? Ne devrait-il pas plutôt être
considéré comme « un bien commun administré par les
Nations-Unies au bénéfice de l'humanité entière ? »
(p. 22).
Ce
sont également des problèmes épistémologiques liés à l'écriture
de l'histoire qui sont mis en lumière. La nature du témoignage et
de l'histoire personnelle, leur individualité, leur subjectivité
s'ajoutent à la subjectivité des témoins envoyés dans le passé
et s'opposent à l'abstraction, à
l'écart, à la distance, à l'analyse des traces de la méthode
historiographique. Dans ce récit, ce qui était sensé être à
jamais absent devient présent et se déroule à nouveau, une seconde
fois, devant les yeux d'un témoin.
« La
position de Wei, c'est que, sans vraie mémoire, il ne saurait y
avoir de vraie réconciliation. Sans vraie mémoire, les individus de
chaque nation n'ont pas pu ressentir ni se remémorer la souffrance
des victimes .» (p. 72)
La
forme narrative du récit, sous forme d'un film documentaire, fait
écho à la procédure de retour vers le passé permettant de voir,
d'entendre, mais non d'interférer. La description des mouvements de
caméra et des personnages, en didascalie, introduit les différentes
interviews du reportage :
« [Tandis
que la caméra zoome vers la mappemonde posée sur la table, le Pr
Kirino désigne le Massachussets, puis elle marque une pause pour
réfléchir. Un travelling arrière démarre, qui amenuise le globe
terrestre, comme si nous le quittions.] »
Interviews
d'Akemi Kirino, d'historiens, d'anciens membres de l'Unité 731,
d'archéologues, d'anonymes, de volontaires témoins : entre
indifférence, colère, dédain, négationnisme, la pluralité et la
justesse des réactions face à l'acharnement d'Evan Wei à dénoncer
les atrocités commises par l'Unité 731 évitent les réponses trop
simplistes.
« Il
est impossible que chaque atrocité trouve un porte-parole aussi
éloquent qu'Anne Frank, et je ne crois pas que nous devions réduire
l'histoire entière à un recueil de récits de ce genre. » (p.
68)
La
note en fin d'ouvrage montre un auteur documenté, indiquant ses
sources et ses recherches menées sur l'histoire du Japon et de la
Chine. Ce récit singulier par sa forme, par sa richesse documentaire relevant d'une forme
d'« historicisation de la fiction » (Paul Ricoeur, Temps
et récit 3 : le temps raconté) sans perdre pour autant sa
valeur poétique ni sa « littérarité », m'a
époustouflée. Il invite à s'interroger sur l'écriture historienne
mais aussi sur la « banalité du mal » décrite par
Hannah Arendt. De nouvelles pistes de lecture en perspective !
J'attire enfin l'attention sur la magnifique couverture « steampunk » d'Aurélien Police !
Camille
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