jeudi 21 septembre 2017

"Vera", de Carl Geary, paru chez Rivages en 2017

Un de mes coups de cœur de la rentrée littéraire de septembre !



Est-ce que Vera est une histoire d'amour ? Son auteur Karl Geary nuance dans une interview donnée au journal Libération : Vera est « plus une histoire de désir, de convoitise, de solitude ». Désir passionnel d'un adolescent de 16 ans, solitude d'une femme à l'âge non précisé, probablement la quarantaine. C'est surtout une rencontre improbable entre deux personnes que tout oppose : l'âge, le milieu social, la culture. Sonny erre dans les limbes de l'adolescence, écrasé par le poids d'un milieu social qui ne laisse aucune place au rêve. Une famille rustre et pauvre, un petit boulot dans une boucherie, une vie de lycéen fantomatique, invisible et délaissé. Sonny est un voleur de pièces de vélo, galérant pour se procurer alcool et cigarettes à partager avec Sharon, son amie d'enfance brute de pomme. Sonny a les ongles crasseux d'un fils d'ouvrier mais sa sensibilité à fleur de peau se heurte sans cesse à un horizon au ras du sol. 

Vera est une femme mystérieuse, qui « ressemble à une star de cinéma ». Elle est riche, cultivée et vit dans un quartier chic. Elle semble aussi très seule et nous ne saurons presque rien de sa vie. La rencontre se produit alors que Sonny accompagne son père pour faire des travaux dans la maison d' « une vieille bourge ». Mais la vieille n'est finalement pas si vieille que ça, elle est même plutôt belle et l'adolescent est immédiatement attiré par cette femme mystérieuse. Passion aveugle, attrait pour un monde inconnu et impénétrable, adulation, idéalisation, qu'importe, les sentiments et le désir naissant de Sonny sont puissamment évoqués. Délicat et percutant, ce roman surprend par l'approche réaliste et dure, dénuée de mièvrerie, de cette improbable rencontre. Par ce portrait saisissant d'un jeune garçon vulnérable, en proie à un désir physique mais aussi à une envie rageuse, désespérée, d'échapper à sa condition. Lui qui n'a jamais possédé de livres, il s'essaie à lire des poésie de T.S. Eliot chapardées chez Vera. Elle, apparaît comme une femme absente et inaccessible, tant à Sonny qu'au lecteur. 

Utilisant la deuxième personne du singulier, l'auteur parvient à produire un procédé narratif qui peut étonner voire rebuter au premier abord, mais qui s'avère judicieux : en tutoyant Sonny, il provoque une proximité efficace avec le lecteur. Beaucoup de non-dits laissent enfin une grande place à l'imagination et confèrent à ce récit une puissance et une grâce qui touchent au cœur.

dimanche 17 septembre 2017

"Miniaturiste" de Jessie Burton paru chez Gallimard (Folio), 2017, 8,20 €




Suspense garanti avec Miniaturiste de Jessie Burton, captivante fiction historique qui vous tiendra en haleine avec son intrigue à mystères et ses personnages étonnants.

En 1686, Petronella Oortman, dite Nella, dix-huit ans, rejoint à Amsterdam Johannes Brandt, un riche marchand de vingt ans son aîné, qu'elle vient d'épouser. Nella y est froidement accueillie par Marin, la sœur de son mari, célibataire rigide, austère et peu aimable. En cadeau de mariage, Johannes offre à son épouse une maison de poupée sophistiquée et luxueuse représentant leur propre demeure. Délaissée par un mari qui semble indifférent, cherchant sa place au sein de cette étrange et hostile famille, la jeune fille entreprend de meubler et de peupler la maison de poupées en sollicitant un miniaturiste. Mais l'angoisse et la fascination s'emparent de Nella lorsque l'artisan se met à lui envoyer des pièces qu'elle n'a pas commandées, qui correspondent exactement à l’intérieur de la demeure réelle et à la vie de ses habitants, révélant ainsi de dangereux secrets... Un premier roman jouant avec les frontières entre réalité et imaginaire, entre fantastique et fantasmatique, à dévorer d'une traite !

Article paru dans le journal mensuel Le Petit Vendômois, juillet 2017. 

"Mon imagier des instruments", illustré par Xavier Frehring, paru chez Gallimard Jeunesse, collection éveil musical, 2010, 16 €




Bain de langage, bain de sons, il n'est jamais trop tôt pour familiariser les enfants avec les livres comme avec la musique ! Avec le livre-cd Mon imagier des instruments, les tout-petits pourront découvrir quinze instruments, de la clarinette à la batterie en passant par la harpe, l'accordéon ou le violoncelle. Le format carré et tout cartonné est bien adapté aux petites mains, les illustrations réalistes des instruments permettent de les identifier facilement, les couleurs vives et harmonieuses sont des plus agréables. La qualité sonore de l'enregistrement, indispensable pour initier convenablement à la musique, met bien en valeur les compositions d'Isabelle Aboulker. Le disque se termine par un jeu invitant à reconnaître le son des instruments présentés, pour développer l'écoute, la mémoire et l'oreille musicale en s'amusant !

Article paru dans le journal mensuel Le Petit Vendômois, juin 2017. 

"Pereira prétend", de Pierre-Henry Gomont, d'après le roman de Antonio Tabucchi, paru aux éditions Sarbacane, 2016


Lisbonne, fin juillet 1938. Doutor Pereira est journaliste, responsable de la rubrique culturelle du journal conservateur Le Lisboa. Solitaire tourmenté, profondément blessé par la mort de sa femme, il se nourrit de littérature, de boissons trop sucrées et d'aliments trop riches qui meurtrissent son corps obèse. Face à la dictature salazariste, à la guerre civile de l'Espagne voisine, à la montée du fascisme dans toute l'Europe, Pereira prétend qu'il ne s'intéresse pas à la politique. Mais sa rencontre avec Monteiro Rossi, jeune révolutionnaire toujours fauché, auquel il propose d'écrire des nécrologies anticipées d'écrivains célèbres, bouleverse sa routine, le confronte au monde réel, à la censure et à la violence, et le pousse à retrouver goût à la vie. 



Ce récit bouleversant, avec ses personnages sensibles, d'une grande profondeur psychologique, aux faiblesses touchantes, au courage roboratif, est magnifiquement porté l'illustration. Le potentiel symbolique des couleurs est habilement manié : jaunes et rouges chauds figurant à merveille la touffeur des journées portugaises, splendides scènes nocturnes en tons verts-bleus, jeux de contrastes entre personnages et décors. De belles trouvailles graphiques pour représenter les questionnements intérieurs, un trait expressif et dynamique, un texte percutant confèrent à cet album la qualité et la force nécessaires pour émouvoir et habiter longuement le lecteur. 

Article paru dans le journal mensuel Le Petit Vendômois, avril 2017.